Lectio divina : écoute aimante et priante de la Parole Dieu

Auteur: Yvon Joseph Moreau, O.C.S.O.,
évêque émérite du diocèse de Sainte-Anne-de-la-Pocatière
et moine à l’Abbaye Val Notre-Dame

Pratiquée depuis le Moyen Âge, la lectio divina combine l’intelligence et l’intériorisation de la Parole de Dieu et encourage l’approfondissement de la relation à Dieu et aux autres. Mgr Yvon Joseph Moreau présente les quatre étapes de cette démarche qui, par sa nature, s’est enrichie au cours des siècles des nombreuses avancées de l’exégèse et qui inscrit dans un processus toujours en mouvement de compréhension et d’amour des Écritures.

La lectio divina est fondamentalement une expérience de rencontre avec Dieu et avec le Christ. Elle est une écoute aimante de la Parole de Dieu, nourrie de prière et nourrissant notre prière, en vue de transformer notre vie… Elle désire répondre à l’injonction « Écoute Israël… » de l’Ancien Testament (Deutéronome 9, 1), répercutée dans l’évangile : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » (Marc 9, 7). Depuis le 12e siècle, à la suite du moine Guigue le Chartreux, la lectio divina est présentée comme une démarche en quatre étapes : lecture, méditation, prière et contemplation. Dans l’Exhortation apostolique qui a suivi le Synode sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église, en 2008, Benoît XVI nous offre une vue synthétique de ces différentes étapes (no 87).

Avant d’ouvrir notre Bible et d’amorcer la première étape, il est primordial de prendre un moment de silence et d’invoquer l’Esprit Saint afin qu’il ouvre notre esprit et notre cœur. C’est lui le véritable maître de la lectio divina. Lui qui a inspiré la Parole de Dieu, il la rendra inspirante pour nous aujourd’hui. Lui qui est le lien d’amour entre le Père et le Fils, il nous guidera à la vraie connaissance que seul l’amour peut donner. Ce moment de silence et d’invocation comme porche de la lectio pourra être bref, mais nous ne devons jamais l’oublier : il éveille notre désir de rencontre avec Dieu et avec le Christ. 

Lire en écoutant la Parole

La première étape est une lecture attentive et studieuse qui a pour but de découvrir d’abord ce que dit le texte en lui-même. Je lis un texte, mais, dans la foi, j’écoute la Parole que Dieu m’adresse aujourd’hui. Écouter vraiment exige patience et attention, surtout lorsqu’il s’agit de passages que nous avons déjà lus ou entendus plusieurs fois : une lecture à haute voix, lorsque c’est possible, ou du moins en prenant le temps de prononcer chaque mot intérieurement, nous aidera à fixer notre attention. Parfois, nous pouvons même nous donner la peine d’écrire le passage étudié. Dans cette étape, les notes de nos Bibles ou les explications d’un exégète peuvent contribuer à une meilleure compréhension du texte. Comment choisir le passage à lire ? L’Eucharistie quotidienne nous offre un choix de lectures. Toutefois, il est très bénéfique de lire un livre biblique de manière continue, surtout un Évangile.

Méditer en ruminant la Parole

Cette deuxième étape de la lectio divina est un moment d’écoute au plus près de ce que nous vivons ; c’est pourquoi le même texte peut nous révéler des éléments nouveaux, selon les circonstances de notre vie. C’est le moment de réfléchir et de méditer au plus près de notre désir de Dieu et au plus près de notre démarche de foi. Il ne s’agit pas de nous comporter en propriétaires de la Parole de Dieu, mais de permettre à celle-ci de s’approcher de nous pour nous éclairer, nous transformer et nous configurer à Celui que nous aimons et en qui croyons. La Parole peut nous remettre en question et nous appeler à la conversion.

Elle peut aussi – souhaitons-le ! – nous confirmer et nous stimuler à faire de nouveaux progrès sur le chemin de l’Évangile, à la suite du Christ. Par la méditation, nous cherchons à découvrir comment la Parole nous interpelle dans notre quotidien, en ne perdant jamais de vue qu’elle est celle d’un Dieu qui nous aime.

Certains jours, la Parole nourrit notre foi et renouvelle notre espérance, comme le prophète Élie en a fait l’expérience. D’autres jours, elle tranche à vif dans notre vie, nous sortant de notre sommeil, de nos fuites et de nos mensonges. Elle peut nous jeter à terre comme saint Paul, avant d’ouvrir nos yeux à la lumière. Elle peut blesser notre cœur de componction, dans la prise de conscience de notre péché, ou le dilater dans la reconnaissance de la miséricorde inépuisable de notre Dieu. Elle peut nous sortir de nos tombeaux et nous mettre debout comme Lazare, ou nous combler de la joie du salut et nous ouvrir au partage, à l’exemple de Zachée. Elle peut encore nous apprendre l’adoration en esprit et en vérité, à la suite de la Samaritaine. Dans tous les cas, elle est source de vie nouvelle !

Au terme de cette méditation de la Parole, il est bon de prendre le temps de « ruminer » et de savourer un mot ou un court passage ; nous pourrons le retenir comme nourriture quotidienne, et le laisser monter de notre cœur à nos lèvres tout au cours de la journée.

Prier en répondant à la Parole

Dieu nous parle, à nous maintenant de lui répondre ! Voilà l’esprit de la troisième étape de la lectio divina. Il ne s’agit pas d’élaborer de « belles pensées sur Dieu » – si profondes et si élevées soient-elles –, mais de lui parler comme on parle à un ami, même si cet ami demeure le Tout-Autre, le Dieu trois fois saint. Dialogue confiant avec Dieu, la prière affermira notre désir de travailler à devenir plus authentiquement nous-mêmes : des enfants de Dieu créés, sauvés et appelés à la gloire, par Celui qui nous aime. Notre prière pourra progresser de la supplication à l’action de grâce, de la demande à la reconnaissance, de l’angoisse à l’apaisement, de la tristesse à la jubilation… Elle pourra se condenser dans une phrase ou un mot que l’on aimera répéter au rythme de notre respiration et reprendre du matin au soir.

Contempler en goûtant la Parole

Pour la quatrième et dernière étape de la lectio divina, notre prière nous conduira parfois au silence de la contemplation : silence de la présence goûtée, de reconnaissance et d’adoration. Contempler, c’est d’abord « voir et goûter toute la douceur de Dieu », affirme saint Bernard, s’inspirant du Psaume 33, 9. Contempler, c’est aussi apprendre à voir le monde, les autres et nous-mêmes à la manière de Dieu, c’est-à-dire avec des yeux qui aiment et qui bénissent. C’est devenir capables de regarder nos sœurs et nos frères en humanité avec des yeux qui leur révèlent à eux-mêmes leur beauté de femmes et d’hommes créés et sauvés par Dieu dans le Christ. La vraie contemplation nous conduit à la compassion et à l’action.

 

Mettre la Parole en pratique en désirant qu’elle nous transforme

« La lectio divina ne s’achève pas dans sa dynamique tant qu’elle ne débouche pas dans l’action, qui porte l’existence croyante à se faire don pour les autres dans la charité », rappelle judicieusement Benoît XVI au numéro 87 de son Exhortation. Le moment de l’écoute aimante et priante est terminé, mais pas celui de la rencontre avec Dieu ! C’est toute notre vie qui doit se faire écoute : les oreilles et les yeux ouverts, le cœur et l’esprit ouverts, de même que les mains ouvertes, dans une union toujours plus profonde au Christ. C’est toute notre existence qui est appelée à grandir en vie filiale et fraternelle. Se mettre à l’écoute de Dieu, c’est aussi apprendre à se mettre à l’écoute de nos sœurs et de nos frères.

Malgré nos lenteurs et nos pauvres progrès dans notre marche à la suite du Christ, nous pouvons espérer que la Parole écoutée, ruminée et priée avec amour continuera à agir dans notre cœur, même à notre insu. Accueillie avec foi, la Parole travaille secrètement dans les profondeurs de notre être, dans cette part de nous-mêmes qui nous reste cachée, afin de lui apporter la bonne nouvelle du salut : « Tu veux au fond de moi la vérité, dans le secret tu m’apprends la sagesse » (Psaume 51, 8).

Conclusion : un apprentissage continu

J’ai cherché à vous partager de mon mieux ma façon de pratiquer la lectio divina. Elle a les limites de mon expérience personnelle. Je tiens à préciser que les étapes présentées ne sont pas séparées les unes des autres par des cloisons étanches et arbitraires et qu’il n’y a pas de temps précis attribué à chacune d’elles : il s’agit d’un processus dynamique où ces étapes s’éclairent et s’enrichissent mutuellement. Parfois même, elles se fondent l’une dans l’autre : tantôt lecture et méditation sont intimement unies, tantôt c’est le cas de méditation et prière, et très souvent prière et contemplation ne font qu’une.

Ce que j’apprécie de cette approche, c’est qu’elle prend pour base une lecture attentive et studieuse, de manière à ne pas faire dire à la Parole de Dieu ce que nous aimerions qu’elle nous dise.

Mais elle ne se réduit pas non plus à une étude et elle n’est pas une simple recherche intellectuelle : elle est une quête amoureuse sous l’action de l’Esprit Saint et elle exige l’amour de Dieu et de sa Parole. Ou plutôt, elle est le fruit de l’amour de Dieu et de sa Parole ! La lectio divina m’a appris à lire, à méditer, à prier et à contempler la Parole de Dieu, non pas pour ma satisfaction ou ma gourmandise spirituelle, mais pour la transformation de tout mon être dans la vérité qui rend libre, dans l’ouverture à mes sœurs et à mes frères… Et elle n’a pas fini de me l’apprendre !« La lectio divina ne s’achève pas dans sa dynamique tant qu’elle ne débouche pas dans l’action, qui porte l’existence croyante à se faire don pour les autres dans la charité », rappelle judicieusement Benoît XVI au numéro 87 de son Exhortation. Le moment de l’écoute aimante et priante est terminé, mais pas celui de la rencontre avec Dieu ! C’est toute notre vie qui doit se faire écoute : les oreilles et les yeux ouverts, le cœur et l’esprit ouverts, de même que les mains ouvertes, dans une union toujours plus profonde au Christ. C’est toute notre existence qui est appelée à grandir en vie filiale et fraternelle. Se mettre à l’écoute de Dieu, c’est aussi apprendre à se mettre à l’écoute de nos sœurs et de nos frères… Et elle n’a pas fini de me l’apprendre !

Cet article est tiré du numéro de septembre 2020 de la revue Parabole. Pour consulter l’ensemble du numéro, il suffit de se rendre au : https://socabi.org/documents/Parabole%2036-3.pdf